L’authenticité à l’oral est le Graal de tous ceux qui prennent la parole en public. Aujourd’hui pour susciter l’adhésion, convaincre ou vendre, rien de mieux que de parler vrai. À ce sujet on oppose généralement la prise de parole de l’acteur à celle de l’orateur.
Cet antagonisme ne date pas d’hier et prend naissance dans l’Antiquité.
Cicéron, dans le livre I de sa trilogie De Oratore écrit en 55 av JC distingue 5 étapes du travail de l’orateur :
- Inventio ou la recherche d’idées pertinentes pour prendre la parole
- Dispositio ou le plan de sa prise de parole
- Elocutio ou le style, les effets, le niveau de langage de son intervention
- Actio ou l’usage du non-verbal et du paraverbal à l’oral
- Memoria ou l’usage de sa mémoire pour retenir son propos
A priori, acteurs et orateurs ne partagent que dans une certaine mesure les deux derniers points de la classification de Cicéron. En effet, l’orateur et l’acteur se servent de leur corps et de leur voix pour magnifier leur prise de parole et avoir un impact sur ceux qui les écoutent. De plus, ils ont recours à leur mémoire pour retenir leur prise de parole.
Dans son livre L’orateur sans visage, Florence Dupont montre même que l’orateur et l’acteur n’avaient déjà rien en commun dans la Rôme Antique (le terme d’actio n’étant réservé qu’aux orateurs). Les acteurs étaient d’ailleurs privés de leur droits civiques à cause de leur art.
Pour Stéphane André, fondateur de l’Ecole de l’Art Oratoire, ces deux interprètes partagent beaucoup de points communs au point qu’il les érige comme « des arts cousins non jumeaux ». Ainsi, on fait du théâtre pour dépasser une timidité ou se sert-on des techniques du comédien pour être plus à l’aise à l’oral.
Faisant de la perfection l’objectif de la prise de parole en public, on a même fait de l’orateur idéal… un acteur. Pour beaucoup, parler bien c’est parler comme le font les comédiens.
Or cet orateur-acteur ne sonne plus crédible aux oreilles du public. À entendre certaines prises de parole parfaitement aseptisées, on ne sait plus si on a affaire à des acteurs ou à des orateurs.
L’authenticité est du côté de l’orateur. Dans son manuel de Rhétorique référence Institutions Oratoires rédigé en 92 ap JC, Quintilien définit l’orateur comme « l’acteur de la vérité » là où l’acteur est « l’imitateur d’un personnage emprunté ».
Cette authenticité transparaît dans au moins 4 traits caractéristiques de l’orateur qu’il ne partage pas avec l’acteur :
L’orateur parle en son nom et joue son propre rôle
L’acteur interprète un rôle et parle au nom de celui-ci. Dans la Grèce Antique, les acteurs jouaient avec un masque pour magnifier l’émotion et la rendre le plus largement visible. Cette pratique a certainement inspiré le terme latin « personnage » signifiant « masque de théâtre ».
Aujourd’hui les acteurs ne portent plus de masque mais il jouent toujours le rôle de quelqu’un d’autre. L’acteur joue un personnage, là où l’orateur se contente de jouer son rôle.
On comprend que ce n’est pas grâce au théâtre qu’on apprend à parler de soi et de ce que nous faisons. Le « respect du masque » l’empêche. Or, c’est souvent une des premières difficultés que l’on rencontre quand il faut prendre la parole dans la vie quotidienne.
L’attention de l’orateur est centrée sur son public
L’acteur est le centre de l’attention de son public. L’orateur regarde son public et s’intéresse continuellement à celui-ci. Il est la boussole de l’orateur. L’acteur, au moment où il incarne son personnage se sait le centre de l’attention. On a donc deux manières très différentes de gérer la peur du regard de l’autre.
L’acteur fait en sorte d’entrer dans sa bulle, d’oublier le public, de se concentrer sur le texte. L’orateur se rassure en se rappelant de la responsabilité qu’il partage avec le public et du fait qu’il est autant regardé qu’il regarde son public.
L’orateur défend une cause et sa parole est conséquente : ce qu’il dit est associé à sa personne et il en assume les conséquences
La parole de l’acteur n’est pas conséquente. On imagine facilement que si certains propos tenus par des acteurs dans des films étaient conséquents, beaucoup auraient déjà été condamnés pour bien des raisons. Sur ce point, on comprend que l’orateur sera beaucoup plus victime de la peur du ridicule que l’acteur.
Lâcher prise est souvent plus facile pour l’acteur que pour l’orateur.
L’orateur ne peut pas apprendre son texte par cœur
C’est peut-être le point qui fera le plus débat. Pourquoi le fait d’apprendre par cœur fait de l’orateur un acteur ?
Au moins 3 raisons à cela :
- L’orateur doit un message à son public, pas une interprétation de son texte. Il sait où il veut aller mais ne sait pas encore quel chemin emprunter.
Pour cela il va co-construire avec son public son intervention en s’intéressant à lui. Comme l’écrit le dramaturge Paul Claudel, « l’œil écoute », et c’est précisément par son regard qu’il met le public au centre du jeu.
- L’orateur doit être tout entier présent. Mobiliser sa mémoire c’est se couper de l’instant présent pour se rappeler du passé. Ces moments « d’absence » sont inévitables et nécessaires. Cependant le par cœur les multiplie.
- L’orateur doit s’adapter à son public. Si celui-ci n’est plus le même, si ses réactions changent, si son propre état se modifie, il devra adapter sa performance. Apprendre par cœur, si cela rassure, limite les capacités d’improvisation et d’adaptation de l’orateur.
Ainsi, certains discours public, certaines conférences Tedx, certaines présentations sont réalisées par des acteurs d’autres par des orateurs. En la matière, chacun a ses préférences. Réaliser une performance d’acteur est un art qui se travaille et qui suscite l’admiration. Ce qui est dommage, c’est qu’on confonde bien souvent ces deux arts.
La vie quotidienne, personnelle et professionnelle nous demande de plus en plus de maîtriser les compétences de l’orateur. Faire l’acteur au moment de l’acte oratoire, c’est prendre le risque de duper son public en cherchant à faire parfaitement.
C’est perdre en authenticité, et mettre en jeu sa crédibilité.
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